samedi 18 mars 2023

Portes ouvertes à l’école MANIKANETISH chez Duceppe


Marc Olivier Gingras, Lashuanna Aster Volant, Emma Rankin et Scott Riverin
 

Texte inédit d'Esther Hardy
Photos: gracieuseté Duceppe 


Présentée chez Duceppe jusqu’au 8 avril, la pièce Manikanetish nous raconte l’histoire d’une enseignante fraîchement formée à l’université qui revient dans son village pour enseigner le français et ainsi redonner aux siens tout en tentant de les élever au-dessus de leur condition. La tête pleine d’idéaux, elle réalise rapidement qu’elle doit d’abord gagner leur confiance et devenir leur complice afin de les pousser à avancer.



 Naomie Fontaine et son fils, Marcorel Fontaine


Manikanetish est tiré du roman autobiographique de Naomi Fontaine, l’autrice et narratrice de la pièce. L'adaptation théâtrale, la transposition du littéraire à la scène assumé par Julie-Anne Ranger-Beauregard est vraiment impeccable, c'est un excellent travail!  Et selon l’autrice elle-même, la pièce est très fidèle à son roman.


Sharon Fontaine Ishpatao (Naomie Fontaine)
et Naomie Fontaine

Encore une fois les nouveaux directeurs artistiques chez Duceppe innovent en accueillant pour la première fois sur une grande scène montréalaise, un texte issu des Premières Nations. Nous saluons leur ouverture et leurs soucis d’inclusion de bon aloi qui nous réjouit grandement!


Dès notre arrivée, nous sommes plongés dans la pièce. Car le décor est visible sur la scène éclairée. Les interprètes déjà sur scène vivent le quotidien de leur personnage.



Sharon Fontaine Ishpatao, Étienne Thibeault, Jean-Luc Shapatu Volant, Naomie Fontaine, Marc Olivier Gingras, Lashuanna Aster Volant, Marc-Olivier Gingras, Alexia Vinciet  Emma Rankin  


L’équipe de scénographie a confectionné une salle de gymnase très conforme à la réalité, avec un panier de basketball au centre en fond de décor, sous lequel trois musiciens guitaristes jouent pour accompagner notre arrivée. On se croit réellement dans une école secondaire. L’ambiance est parfaitement reconstruite.

Avant même que nous soyons assis sur nos sièges, Marc-Olivier Gingras, un des trois guitaristes s’adresse au public avec sa magnifique voix! Il nous parle de la musique, des interprètes et de la pièce en nous relatant les points saillants du programme de la soirée.



Naomie Fontaine


Nous avons droit à un accueil exceptionnel de la part de ces gens chaleureux! Nous nous sentons faire partie des copains de l’école secondaire et déjà à l’aise dans cette ambiance conviviale. Impossible de ne pas remarquer cette simplicité accueillante qui caractérise les peuples autochtones, heureux de lever un peu le voile pour nous présenter leur culture.

D’abord, tous les interprètes sont autochtones et neuf d'entre eux sont innus comme l’autrice. Tel que le soulignait Étienne Thibeau, un autre de nos hôtes sympathiques et accueillants, les interprètes sont à peu près tous parents : cousins-cousines en majorité. Étienne est le guitariste principal qui nous offrira une trame de fond musical durant toute la pièce. Il nous présente les comédiens, les invitant à tour de rôle à venir nous dire quelques mots sur eux-mêmes.




Sharon Fontaine Ishpatao, Étienne Thibeault, Naomie Fontaine, Marc Olivier Gingras, Jean-Luc Shapatu Volant,  Aster Volant, Marc-Olivier Gingras, Alexia Vinciet  Emma Rankin  

 

Manikanetish est une école secondaire de la ville d’Uashat et son nom signifie « Petite Marguerite » en langue innue. Elle est située juste à côté de Sept-Îles. Ce récit autobiographique de l’autrice Naomie Fontaine est issu de son 2e roman qui raconte sa vie comme enseignante à cette école. De retour dans sa communauté avec un BAC en main, elle se rend vite compte qu’elle a changé, sa communauté aussi, ce qui la déstabilise beaucoup au départ.




Sharon Fontaine Ishpatao, Étienne Thibeault, Naomie Fontaine, Marc Olivier Gingras, Jean-Luc Shapatu Volant,  Aster Volant, Marc-Olivier Gingras, Alexia Vinciet  Emma Rankin  


Naturellement c’est une bande d’adolescents déjà hypothéqués pour certains, mais qui gardent néanmoins sa jovialité et sa spontanéité. On assistera à toutes les mésaventures caractéristiques des jeunes autochtones: des décès subits, de l’alcool, des drogues, grossesse en bas âge…et tout ça vécus et assumés durant les classes.


Ce n’est pas un groupe classique de jeunes ados qui se flirtent, mais qui doivent assumer des défis et des expériences graves dans leur jeunesse….Ce qui crée un certain chaos pour une professeure qui cherche à discipliner sa classe et la faire avancer. Elle aura tôt fait, de comprendre qu’elle doit d’abord leur montrer qu’elle peut les appuyer dans tous les aspects de leur vie, dans une vision complice, si elle veut réussir à évoluer avec eux!






L’ambiance rappelle celle de la pièce « La déesse des mouches à feu » qui a eu un grand succès, présentée en 2018 au Quat’sou avec de jeunes comédiennes adolescentes, un texte de Geneviève Pettersen, mis en scène par Patrice Dubois et Alix Dufresne.

On a ici la même spontanéité, mais dans un registre très différent. Marqué par la convivialité et la résilience, dans Manikanetish, on se sent entre copains qui vont s’amuser, avec une saine familiarité!



 
Sharon Fontaine Ishpatao (Naomie Fontaine)


La mise en scène serrée est bien ficelée par Jean-Simon Traversy, un des 2 codirecteurs artistiques chez Duceppe. Aucun temps mort! Les interprètes ont été bien dirigés. Le spectacle suit son cours dans un bon rythme, les changements de costumes sont en majorité faits sur scène. On mise sur la simplicité épurée.

La narratrice et autrice Naomi Fontaine est aussi présente sur scène avec les comédiens et lors de quelques moments particulièrement intenses, elle interprète son propre rôle.

Et soulignons-le, Jean-Simon Traversy et son acolyte David Laurin innovent! Habitué aux programmations plus classiques de Duceppe, même si les textes sont toujours contemporains, c’est à ma connaissance le premier texte écrit et interprété par des Innus  Un grand pas dans l’inclusion dont on peut en être fier! On adore l’idée!!



 



Pour ma part, Manikanetish est la 4e ou 5e pièce à laquelle j’assiste avec un texte et des interprètes autochtones, néanmoins les pièces étaient présentées dans de bien plus petites salles avec seulement quelques interprètes. Soulignons-le, le voile s’ouvre de plus en plus et les cultures se rencontrent, on adore ça!

Et le public aussi, toujours généreux, leur a offert une ovation debout!

Naturellement, si vous vous attendez à une production classique avec de grandes envolées, différente, simplement parce qu’elle est jouée par des interprètes autochtones, vous risquez d’être déçu, on n’est pas dans la même forme de tradition ! Néanmoins, si vous cherchez à aborder l’art dans une vision de simplicité, près des valeurs du cœur, vous apprécierez à sa juste valeur!

Au Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts jusqu’au 8 avril, puis en tournée au Québec en 2024.


Sharon Fontaine Ishpatao (Naomie Fontaine)



L'équipe:

Producteur / Diffuseur : Duceppe
Salle : Théâtre Jean-Duceppe

Durée : 1h20 sans entracte
Mise en scène : Jean-Simon Traversy 
Adaptation théâtrale : Naomi Fontaine et Julie-Anne Ranger-Beauregard 
D’après le roman de Naomi Fontaine
Interprétation : Lashuanna Aster Vollant, Charles Buckell-Robertson, Marcorel Fontaine, Naomi Fontaine, Sharon Fontaine-Ishpatao, Marc-Olivier Gingras, Emma Rankin, Scott Riverin, Jean-Luc Shapatu Vollant, Étienne Thibeault, Alexia Vinci

Assistance à la mise en scène : Marie-Hélène Dufort  
Scénographie : Xavier Mary 
Costumes: Jocelyne Jean-Pierre Bellefleur 
Lumière : Gonzalo Soldi (mirari) 
Musique : Étienne Thibeault