dimanche 29 avril 2018

Le bizarre incident du chien pendant la nuit… L'autisme de l'intérieur !


Normand D'Amour et Sébastien René

Texte original d'Esther Hardy 



C’est plus intrigué que convaincue que je me suis rendue chez Duceppe pour assister à la pièce « Le bizarre incident du chien pendant la nuit »  de Simon Stephens, une adaptation du roman de Mark Haddon et une mise en scène d’Hugo Bélanger avec Sébastien René dans le rôle-titre.   J’ai été d’autant plus surprise de ce spectacle bien ficelé et extrêmement bien incarné par des comédiens versatiles.  Confirmant à nouveau son talent, Sébastien René nous livre sa meilleure performance, vibrant et criant de vérité!


Tout commence avec cet évènement étonnant dans la routine quotidienne de Christopher (Sébastien René)!  Comme le titre nous le révèle : durant la nuit, le chien de sa voisine est tué.  Évènement en apparence inexplicable, dont la police ne fera pas grand cas, mais qui restera comme une énigme dans l’esprit de Christopher. Celui-ci se fait alors un devoir de découvrir son auteur.  Il fera tout en son pouvoir pour y parvenir ; questionnant, cherchant des indices, talonnant son entourage jusqu’à ce qu’il découvre la vérité.   Une vérité qui transformera sa vie et provoquera de grands bouleversements pour lui et ses proches.


Philippe Robert, Stéphane Breton, Sébastien René, Cynthia Wu-Maheux et Adèle Reinhardt


D’un sujet qui peut sembler très dramatique, l’humour est néanmoins omniprésent dans cette pièce…   Il y a longtemps qu’un spectacle m’a autant passionné! Tout y est : l’histoire nourrissante, la scénographie élaborée de Jean Bard, imaginative à souhait et si complémentaire à la pièce qu’elle en devient un autre personnage.  La sensibilité d’Hugo Bélanger transparaît dans sa dynamique et inventive mise en scène.  Sans oublier la distribution de généreux talent avec Stéphane Breton, Normand D'Amour, Catherine Dajczman, Lyndz Dantiste, Milva Ménard, Catherine Proulx-Lemay, Adèle Reinhardt, Sébastien René, Philippe Robert et Cynthia Wu-Maheux, cette dernière nous a étonnés par son excellent « timing » comique. 




Normand D'Amour et Sébastien René


Une très belle chimie père-fils se développe entre Normand D’amour qui incarne le père de Christopher (Sébastien René).  On y croit, on s’y projette! Fasciné, on voyage allègrement dans l’univers de Christopher et on grandi avec les personnages. 


Le chœur est particulièrement bien utilisé! En fait, tous les comédiens qui n’ont pas de personnage durant une scène, répondent d’une seule voix pour illustrer soit les pensées de Christopher, sa psyché, son trouble ou son univers intérieur.  Il faut dire que Christopher est un jeune garçon qu’on situerait entre 9 et 10 ans, débrouillard et très intelligent, surdoué même, qui souffre néanmoins d’un léger trouble de l’autisme, communément appelé syndrome d'Asperger.  Sans avoir lu le préambule de la pièce, je pouvais déjà mettre ces mots sur le comportement de Christopher, tellement le jeu de Sébastien René l’incarne avec réalisme!




Sébastien René



Illustrant le monde intérieur du personnage de Christopher, les projections vidéo de Lionel Arnould  sont judicieusement bien utilisées. Comme elles se mélangent à l’action sur scène, on a droit à un niveau de compréhension complémentaire au drame. On est interpellé à approfondir la vision intérieure de la trame dramatique puisqu’elle nous permet de mieux saisir ses combats, ses blessures ou simplement son cheminement pour arriver à ses conclusions, souvent naïves, mais toujours pleines de fraîcheurs.



Mon seul très léger bémol, et j’avoue qu’il ne fait aucune ombre réelle au spectacle, serait l’omniprésence du professeur (Catherine Dajczman). On finit par comprendre qu’elle relate les moments importants dans le cheminement de Christopher…   Malgré son excellent jeu, comme elle lit dans un livre sans qu’on puisse toujours justifier sa présence sur scène, on se demande si l’abondance de ses lignes qui sont pourtant  indispensables à notre compréhension, auraient pu être distribuées autrement…







D'ailleurs, la pièce affichait déjà quelques représentations supplémentaires dès les premières présentations… Je vous conseille donc cette belle pièce rafraîchissante et nourrissante avec une approche différente sur des problèmes parfois difficiles à gérer pour des parents d’autisme Asperger et qui font des ravages dans l’entourage des victimes de celle-ci.  


Allez!  Amusez-vous chez Duceppe jusqu’au 19 mai… Pour vous procurer des billets...



lundi 16 avril 2018

Rencontre avec Stephan Allard et son Impromptu



Publié par Esther Hardy le Lun. 16 avril 2018 à 17h00 - Contenu original


D’abord comédien, ensuite metteur en scène et auteur, Stéphan Allard est le maître d’œuvre de cette belle folie qu’est la pièce « Impromptu » présentée au Rideau Vert jusqu’au 21 avril 2018. Pour mieux connaître ce chef d’orchestre de talent, qu’on connaît aussi au petit écran dans le rôle de Jean Gilbert, l’infirmier de l’urgence dans Au secours de Béatrice, il s’est prêté au jeu de nos questions. En voici le résumé…


ESTHER :Stéphan Allard, quand on est déjà comédien et auteur, pourquoi faire aussi de la mise en scène?



STÉPHAN:
Je suis entré à l’École de théâtre avec l’idée de faire de la direction d’acteurs et, dès qu’on montait une pièce, je questionnais constamment mes professeurs : pourquoi on fait telle affaire, pourquoi ça? Au point que mes profs me disaient : « Tu veux diriger? Ok ça viendra! Mais tu dois d’abord apprendre à jouer. » Et, en terminant ma formation, mes cinq ou six premiers contrats ont été de la mise en scène. Ensuite, comme ça a été le cas pour Pierre-François Legendre avec qui j’ai étudié, j'ai été au Conservatoire de Québec dans des années où il y a eu peu de finissants masculins, alors j’étais souvent demandé pour jouer. C’est comme ça que ma carrière de comédien a démarré. Je suis ensuite revenu à la mise en scène…




Marie-Josée Bastien et Stéphan Allard en 2009 à L'Espace Libre // Crédits: André Tremblay




ESTHER:
Et travailler en collaboration avec Marie-Josée Bastien pour « Impromptu », c’était ta première fois?


STÉPHAN:
On a beaucoup travaillé ensemble comme comédiens, à la mise en scène, etc. J’ai joué deux cents représentations de son texte La librairie avec le Théâtre du Gros Mécano. On se comprend bien. Dans cette complicité, je me permets parfois de lui donner des pistes, mes impressions… On commence à
travailler le texte en répétitions et elle accepte que je lui dise quand des trucs ne fonctionnent pas. Je peux lui donner des pistes de ne pas aller là, ou à l’inverse, de pousser et d’y aller franchement. Par exemple, pour le personnage de Sonia Vachon (la Duchesse D’Antan dans « Impromptu ») qui avait
juste un petit rôle dans le script original du film, dès la première lecture, on s’est vite rendu compte qu’on gagnerait beaucoup à lui donner plus d’importance. Alors, Marie-Josée a développé de nouvelles scènes pour son personnage.





Myriam Leblanc  // 
Crédits: Andréanne Gauthier




ESTHER: 
Dans la pièce, est-ce qu’une distribution a été imposée ou tu avais le choix d’aller chercher ceux que tu voulais?


STÉPHAN:
 L’unique demande de Denise Filiatrault, c’était d’avoir une distribution de comédiens qui jouent au théâtre. Elle n’a pas peur d’offrir des rôles à des gens qui n’ont jamais travaillé ensemble et de provoquer la découverte de nouvelles chimies. Par contre, certains rôles étaient incontournables.
D’emblée, pour Denise, le choix de Myriam Leblanc s’imposait dans le rôle de George Sand.

Si on parle de David Savard, on se connaît depuis notre jeunesse, on a fait du théâtre ensemble à la petite école de Dolbeau. C’était évident que le rôle de Franz Liszt lui allait comme un gant. 

J’ai joué, dans l’Impromptu, le personnage de Félicien Malleville à la Bordée, c’est Pierre-François Legendre avec qui j’ai étudié qui a pris le rôle pour cette version.







Mathieu Lorain Dignard





Pour Mathieu Lorain Dignard, on s’est connu sur Au secours de Béatrice et en coaching personnel. Depuis, on a collaboré sur des textes et divers projets. En plus de sa formation en théâtre, Mathieu a aussi fait l’École de l’humour et, comme nous sommes de différentes générations, on n’a pas les mêmes références. Il est très conscient du public avec une approche très terre-à-terre. Entre autres, on a travaillé sur son spectacle présenté au Fringe, Comment le cancer de mon grand-père m’a fait découvrir le disco, un texte sur une expérience réelle vécue avec son grand-père. Celle-ci a bouleversé sa vie. Comme on a en commun une relation importante avec notre grand-père, on a nourri le texte d’anecdotes personnelles. C’est toujours agréable de travailler sur l’humain.


Le personnage original d’Alfred de Musset était aussi un choix qui s’imposait d’offrir à Luc Bourgeois. On le voyait là dès le départ. Pour Sonia, nous avions travaillé ensemble seulement une fois et, comme on la voit peu au théâtre, ce rôle (qui lui va tellement bien) était l’occasion de l'y retrouver. Émilie est une grande amie de David, et leur couple Marie D’Accoult et Franz Liszt fonctionnait dès le départ... une autre évidence.






Maxim Gaudette, Luc Bourgeois, Myriam Leblanc, Sonia Vachon et Émilie BibeauCrédits: Julien Faugère




ESTHER : 
J’ai cru comprendre que Myriam est ton amoureuse. Comment dirige-t-on sa blonde? Est-ce qu’on se sent à l’aise, on a tendance à ramener du travail à la maison…?


STÉPHAN :Oh, ça aide. La question revient souvent et franchement, j’avoue c’est quasiment plus facile. Parce qu’on en parle à la maison. On a le temps d’approfondir encore plus. Pour cette production, j’ai pu l’orienter vers des lectures. Nous avions énormément de documentation à lire et de musique à découvrir sur les personnages de cette pièce. J’ai lu pendant un an et demi sur les personnages. Alors, Myriam a pu lire beaucoup sur George Sand. Ça l’a aidée. En plus, elle est très malléable, elle aime se transformer, ainsi que sa voix, etc. Elle adore composer son personnage et dans cette idée, elle se laisse guider par le metteur en scène et accepte même d’aller dans des lieux où elle ne serait pas allée… elle fait confiance au metteur en scène, donc c’est une comédienne très facile à diriger.





Stéphan Allard   // Crédits: Andréanne Gauthier




ESTHER : 
Pour les choix de mise en scène et pour la scénographie, dans quelle mesure
êtes-vous libre de créer?




STÉPHAN: 
D’abord, la scène du Rideau vert étant petite, on doit créer à partir de ça et l’équipe de scénographie du théâtre a l’habitude. C’est un guide important avec des indications très précises. De plus, on connaît notre public, les paramètres sont limpides. Ça donne une bonne liberté de création.


Une excellente pièce à voir jusqu’au 21 avril au Rideau Vert. Pour en savoir plus, cliquez ici.

jeudi 12 avril 2018

Catherine Vidal et son Idiot - Rencontre


Crédits photos: Théâtre d'Aujourd'hui



Publié par Esther Hardy le Jeu. 12 avril 2018 à 13h00 - Contenu original



L’adaptation d’Étienne Lepage du célèbre roman L’Idiot de Fiodor Dostoïevski, sur les planches du TNM jusqu’au 18 avril, nous donnait une belle occasion de rencontrer la metteure en scène, Catherine Vidal, pour découvrir l’inspiration qui a guidé son heureux travail. Son expertise ayant été maintes fois confirmée dans de précédentes mises en scène, nous avions beaucoup de questions sur le cheminement de cette talentueuse artiste de théâtre.




Renaud Lacelle-Bourdon, Macha Limonchik, Rébecca Vachon et Frédéric Blanchette
(Crédit photo: Yves Renaud)





ESTHER:
D’après mes recherches, tu es d’abord comédienne, finissante du Conservatoire en 1999,
puis j’ai vu que tu avais été marionnettiste sur Ah, la Vache!, un excellent spectacle du Théâtre de l’Oeil.


CATHERINE:
Oui, comédienne, mais marionnettiste est un bien grand mot, dans mon cas. J’ai connu André Laliberté (directeur du Théâtre de l’Oeil) en finissant l’école, il est venu voir mon travail. Puis, il a eu besoin de quelqu’un qui savait chanter et qui s’intéressait à la marionnette. Alors, j’ai fait Ah la vache en tournée. Ensuite, j’ai travaillé avec Étienne Lepage sur Le cœur en hiver, un autre spectacle du Théâtre de l’Oeil, lui naturellement à l’écriture et moi à la mise en scène.


D’ailleurs, j’ai beaucoup « trippé » à faire « Ah, la Vache! ». Avant de me consacrer à la mise en scène, j’ai fait beaucoup de choses. Je ne pensais pas faire de théâtre musical en sortant de l’école. Et finalement, j’ai fait Les parapluies de Cherbourg et L’homme de la Mancha qui a suivi. Comme si la vie me poussait à des endroits... Je voulais faire de la mise en scène depuis toujours, mais je pensais que ça viendrait quand je serais plus vieille. Je me disais que je le ferais plus tard, comme Alice Ronfard ou Brigitte Haentjens. Je ne me voyais pas commencer déjà à la trentaine.




Catherine Vidal




ESTHER:
Qu’est-ce  qui nourrit et qui fait le plus vibrer l’artiste en toi: la comédienne, la
marionnettiste, la chanteuse, ou la metteuse en scène?

CATHERINE:
Je me suis sentie à ma place dès que j’ai commencé à faire de la mise en scène. Ma
formation en interprétation me permet de diriger les acteurs et de connaître, en bonne partie, les mots qui évoquent des choses pour faire travailler leur créativité. Ainsi, faire en sorte que ça vienne d’eux, plutôt que de leur demander d’exécuter quelque chose par mimétisme. De plus, avoir beaucoup
observé les metteurs en scène travailler m’a beaucoup nourrie. Par exemple, voir René Richard Cyr travailler, et découvrir comment il fait, est vraiment fascinant. Donc, tout ce que j’ai fait avant a nourri ma pratique de metteuse en scène. Je me sens vraiment à ma place.

ESTHER:
Est-ce que tu as le sentiment d’être meilleure metteuse en scène que comédienne?

CATHERINE:
Oh oui, vraiment! Je pense que j’étais une bonne comédienne, mais pas si extraordinaire... Par contre, je trouvais difficile de ne pas être capable de percevoir. Il y a des acteurs qui sont capables de voir de l’extérieur ce que leur corps fait comme dessin. Je n’avais pas cette capacité-là et ça me frustrait dans ma pratique de comédienne. Alors, maintenant en étant metteuse en scène, je suis l’œil qui regarde.

ESTHER:
Est-ce qu’il y avait aussi une frustration de ne pas avoir le pouvoir de décider et de se dire, par exemple: à la place du metteuse en scène, je n’aurais pas fait ça comme ça?

CATHERINE:
Oh oui, c’est sûr. Quand on commence à se dire ça, je pense qu’il est temps de penser à faire de la mise en scène. Depuis toujours, je savais que j’allais y toucher. Dès mon premier contact, de façon naïve et inconsciente, dans mes jeux d’enfant, j’aimais organiser les choses, les spectacles qu’on faisait dans le sous-sol. Je me donnais le plus petit rôle pour pouvoir être libre d’organiser le jeu.




Étienne Lepage(Crédit photo: Lucie Desrochers)




ESTHER:
Et d’après ce que tu disais, L’Idiot n’est pas ta première collaboration avec Étienne Lepage.

CATHERINE:
Non, ça fait depuis 2008. À l’époque du Théâtre Catastrophe, un collectif issu du Nouveau Théâtre Expérimental, avait réuni quelques personnes qui ne se  connaissaient pas pour créer, écrire et jouer un spectacle pendant l’été. On faisait dix représentations à la rentrée en septembre. Ça a été très intensif. C’est là qu’Étienne et moi nous sommes rencontrés pour la première fois, et on s’est vite rendu compte de notre capacité à créer ensemble. On s’est trouvé une forme de parenté. Il ne savait pas que je faisais de la mise en scène. Sur ce projet-là, il a pris le lead de l’écriture, parce que c’est un auteur à la base et j’ai pris le lead de la mise en scène. C’est là qu’on a pu se rencontrer humainement.

ESTHER:
Après cette expérience, Étienne m’a demandé de mettre en scène un spectacle pour le Fringe: Acné japonaise et ça a super bien marché. Plus tard, en 2013 au Théâtre d’Aujourd’hui, on a fait Robin
et Marion ensemble. Et Le cœur en hiver en 2015 au Théâtre de l’Oeil, une adaptation de La reine des neiges, un conte d’Andersen. Après coup, quand Lorraine m’a octroyé la bourse de mise en scène, au bout des deux ans je devais présenter quelque chose. Je me suis dit, j’aimerais faire l’Idiot.  Renaud Lacelle-Bourdon m’avait déjà dit: « Un jour, j’aimerais jouer le Prince Mychkine ». Comme il y a beaucoup de personnages, je me demandais dans quel théâtre on pouvait faire ça. Quand l’opportunité du TNM est arrivée, je l’ai proposé à Lorraine Pintal, avec Renaud en Prince Mychkine, et avec Étienne. Comme on a déjà développé une relation de travail, j’avais un fort désir de travailler avec lui, et de son côté, faire l’adaptation l’enthousiasmait.




Renaud Lacelle-Bourdon et Simon Lacroix 

(Crédit photo: Yves Renaud)




ESTHER:
Donc, c’est toi le cœur du projet et il y a tout un paquet de gens comme Renaud qui vivent un rêve à travers ça?

CATHERINE:
Oui, et en plus, j’ai une équipe de plusieurs collaborateurs qui me suivent et font leur première conception au TNM. Étant donné que le temps d’entrer en salle était très court, je trouvais ça important de ne pas devoir aussi apprendre à connaître quelqu’un. Au niveau des conceptions, il fallait que ça se fasse rapidement et qu’on se comprenne vite. Alors, c’était important d’amener
ma gang.

Lorraine Pintal a été vraiment cool! Et même pendant l’adaptation, on a eu un creux, et elle nous encourageait. Certaines idées l’ont rebutée au départ, par  exemple le niveau de langage plus près du québécois, elle n’était pas certaine... Et finalement, ça allait.



ESTHER:
Est-ce qu’Étienne et toi, vous êtes consultés durant son travail d’adaptation?

CATHERINE:
Au  départ, Lorraine m’a proposé plusieurs textes déjà écrits, diverses adaptations de L’Idiot. Dans chaque texte, on pourrait dire qu’il y a déjà un ADN de mise en scène d’inscrit. Alors, comme j’aime bien partir du texte et d’y soutenir des éléments, d’y faire quelque chose de riche, j’aime bien travailler de concert avec l’auteur. Ainsi, on peut déjà discuter des conventions dans l’adaptation et sentir les prémices de la mise en scène dans le texte.




Paul Ahmarani et Renaud Lacelle-Bourdon
(Crédit photo: Yves Renaud)



ESTHER:
C’est un texte que je connais dans son aspect dramatique et là, on est beaucoup plus dans l’humour. Ça souligne votre talent pour y arriver…


CATHERINE:
Il y en a quand même déjà un peu dans le texte. Ce n’est pas aussi franc que ça, c’est vrai. Mais, il y a quand même ce côté de la faune un peu ridicule, qui entoure ce trio-là, très shakespearien finalement. Dans les drames de Shakespeare, les jeunes premiers sont parfois dramatiques et le reste de la
faune est plus comique. Pour nous, le roman est beaucoup basé sur l’égo, l’humiliation et l’orgueil. Le Prince Mychkine arrive comme dans une cour d’école où tout le monde se chamaille, et répond à l’offense par une offense. Et lui n’embarque pas du tout dans cette mécanique-là. Alors, ça désarme tout le monde. Cette notion de personnage qui veut s’élever et trébuche est très humaine.


Donc, on a passé environ cinq mois juste à discuter de la perception du roman et des conventions théâtrales. Je me disais: à la limite, j’aimerais ça qu’on s’adresse au public, qu’on enlève le quatrième mur. En travaillant cette matière-là, j’avais peur de tomber dans du théâtre vieillot. On a des a priori
esthétiques sur les shows russes, on se dit: on va voir du bois, de la fourrure, ça va être sombre, l’éclairage un peu à la chandelle... Les clichés, en fait. Alors, on s’est demandé comment faire fi de tout ça et proposer quelque chose pour les Québécois d’aujourd’hui.


On a donc eu beaucoup de discussion sur ce qu’on pouvait retirer du roman, qui était universel, et gommer un peu ou mettre en second plan, tout ce qui était enjeu plus vieillot: les filles à marier, ce qui faisait référence à la Russie, etc. Alors, on a situé l’action dans un lieu universel.



Renaud Lacelle-Bourdon, Frédéric Blanchette, Évelyne Brochu et Rébecca Vachon
(Crédit photo: Yves Renaud)



Voilà entre autres, ce qui fait de cette pièce, un excellent spectacle à voir au TNM jusqu'au 18 avril!

mardi 10 avril 2018

Alice Pascual se déchaîne au Prospéro





Publié par Esther Hardy le Mar. 10 avril 2018 à 15h00 - Contenu original

Crédit photos: Zoe Roux
Que diriez-vous d’entrer dans un théâtre et de vous retrouver soudainement plongé dans une salle de classe de troisième année...? Et, en plus, de découvrir votre professeur assis à son bureau; comme dans le temps, avec tous les souvenirs qui s’y rattachent...?! En fait, c’est ce que vous vivrez en  entrant dans la petite salle du Théâtre Prospero, avec la pièce « Madame Catherine prépare sa classe de troisième à l’irrémédiable », présentée jusqu'au 14 avril.


Dans cette pièce, Alice Pascual incarne cette dynamique enseignante, qui, dans un moment ultime, désire transmettre le meilleur de ses connaissances à ses élèves... son stress et ses peurs inclus.





Alice 
Pascual

Crédits: Jean-François Bérubé






L’histoire prend forme dans une école primaire, ici à Montréal, sur le modèle de toutes les écoles canadiennes ou américaines. Les temps et l’histoire ayant forgé une société et un milieu scolaire de plus en plus conscients des risques d’attentats, Madame Catherine, enseignante, décide de prendre les choses en main. Sensible à ces risques, elle désire enseigner son expertise, soit une méthode dûment créée sur mesure et selon son analyse de la situation, qui s’exprimerait ainsi : « Comment apprendre à ses élèves à se protéger d’un éventuel tireur fou », en six étapes précises.




Jon Lachlan Stewart  Crédits: Maxime Côté



Humour, drame, improvisation, marionnettes et complicité avec le public: tout y est, et
avec talent! La mise en scène, de Jon Lachlan Stewart, s’est revêtue d’une flexibilité d’adaptation exceptionnelle face aux réactions et participations (cohérentes ou non) du public, dans le cadre de cette classe très particulière. De là mon appréciation du talent d’Alice Pascual, qui, avec une énergie et un dynamisme évident, tient sa classe solidement, tout en restant courtoise et gentille avec ses élèves…qui rappelons-le, est le public! Elle réussit à emmener toute la classe dans la direction de son intrigue et du texte, avec une solidité et un aplomb étonnants. Car l’invitation à réagir comme des élèves est scrupuleusement suivie par le public, qui lui en fait voir… un risque calculé en répétition!

Ayant enseigné pendant plusieurs années, je me surprends à reconnaître chez cette comédienne les attitudes et la bienveillance évidentes d’un professeur guidé par un puissant désir de transmission, de passation de connaissance et un fort attachement pour ses élèves. Avec une main de fer, elle guide les discussions et exercices du groupe. Le public est conquis et ne peut que la suivre avec un plaisir évident, même dans les moments plus dramatiques où on sent le personnage craquer sous la pression.



Zoe Roux
Crédits: Bernardo

Le jeu d’éclairage de Zoe Roux réagit allègrement selon le carrousel des émotions d’une enseignante qui jongle entre la crise de nerfs et son expérience à guider la classe. En plus, des accessoires loufoques de Cédric Lord servent le propos; ils l'enrichissent, même, avec beaucoup d'originalité. Les spectateurs ont aussi droit à une chanson, un beau rap humoristique d’Alice Pascual qui, évidemment, s'éclate avec plaisir!





Cédric Lord 

Crédits: Julie Gauthier





Ayant au préalable reçu l’avertissement qu’un coup de revolver allait être entendu durant le spectacle… on se demande comment tout cela se terminera : par un suicide? Une crise de nerfs? Une tuerie? Mais, n’ayez crainte, c’est beaucoup plus adapté à notre quotidien, malgré l’aspect un peu tragique de ce drame bien ficelé…


Un très bon spectacle, donc, que vous pouvez voir sur la scène du théâtre Prospero jusqu'au 14 avril...