mardi 26 février 2019

Danser, chanter et giguer dans les Cendres d’Emmanuelle Jiménez au Prospéro



Marilyn Perreault, Olivier Rousseau et Gabrielle Marion-Rivard




Texte original d'Esther Hardy
Crédits photos: Guillaume Carbonneau




Le Théâtre Prospéro est le témoin d’une nouvelle pièce d’Emmanuel Jiménez, un spectacle de danse-théâtre signé Menka Nagrani issu d’une commande particulière de cette dernière qui désirait un texte empreint de la tradition québécoise. C’est ainsi que danse et le jeu se mêlent au rigodon et aux chansons sur des thèmes parfois connus parfois moins. Présentée par les Productions des pieds des mains au Théâtre Prospéro jusqu’au 9 mars 2019 avec les talents de Gabrielle Marion-Rivard, Marilyn Perreault et Olivier Rousseau.



Olivier Rousseau et Gabrielle Marion-Rivard 



En résumé…
Un grand drame arrive dans une famille, les parents succombent dans l’incendie de la maison familiale et laisse Viviane et Étienne orphelins, seuls parmi les cendres. La troisième enfant, Sophie interprétée par Marilyn Perreault, s’est distancée du clan depuis des années afin de réussir sa vie dans les affaires et littéralement chercher sa place au soleil. Ne trouvant pas de quoi nourrir son cœur véritablement et victime d’un ouragan, elle revient vers les siens. Ayant appris à survivre sans elle, Étienne, l’aîné interprété par Olivier Rousseau, résiste tandis que la plus jeune Viviane, autiste et plus vulnérable, incarnée par Gabrielle Marion-Rivard, désire retrouver un équilibre familial en unissant son frère et sa sœur auprès d’elle.


"Je veux mourir, mais mes jambes veulent danser!"


Dès l’ouverture du rideau, nous avons droit à une magnifique chanson interprétée par ce trio d’artistes talentueux et toute la suite sera ponctuée de danses contemporaines et percussive, de chants, de rigodons, de gigues et de complaintes traditionnelles alternant avec les dialogues. Cendres est une pièce colorée qui nous parle de dépouillement, d’espoir, de réconciliation et de retour vers soi. Exigeante pour les interprètes, nos trois comédiens, danseurs et chanteurs s'en tirent à merveille!




Gabrielle Marion-Rivard et Marilyn Perreault


C’est ainsi que Viviane, en apparence le maillon le plus faible du clan, se révélera la plus adéquate pour retrouver le chemin vers la joie simple et les petits bonheurs qui généreront l’espoir, puis le désir d’y parvenir. Sa vision humble des petits plaisirs quotidiens l’attache à l’essentiel qui devient indispensable dans une telle situation et aide à trouver un appui dans cette grande épreuve.


"La vie c'est comme la vaisselle, faut toujours la recommencer!"



Cendres est un texte qui reste original dans son essence et son traitement! La scène emplie de restes de la maison incendiée nous surprend dès l’arrivée. Les rythmes scandés par les talons des interprètes éveillent en nous des échos de notre patrimoine tapis au fond de nous.




 
 Marilyn Perreault et Gabrielle Marion-Rivard 



Olivier Rousseau, un danseur talentueux, nous emmène dans ses envolées chorégraphiées par la mise en scène Menka Nagrani. Comme toujours, la spontanéité de Gabrielle Marion-Rivard nous réjouit, elle est une brise de fraîcheur dans ce drame. Marilyn Perreault nous a beaucoup surpris, elle arrive à tenir son texte avec intensité à bout de bras dans un casting extrêmement différent de ce qu’on a pu la voir auparavant (Nuits frauduleuses, Logique du Pire, etc.). Habituellement très physique dans son jeu, elle est ici la femme bourgeoise classique, ce qui est diamétralement opposé à sa personne. Cet automne, nous avons pu voir une de pièce qu’elle a aussi mise en scènes aux Écuries : Fiel, une pièce onirique sur le viol collectif.



Menka Nagrani
Crédits: Caroline Laberge





Emmanuel Jiménez.
Crédits: Andréanne 
Gauthier




"J'ai toute crissé là pour manger de la tarte!"



Avec Cendres, nous sommes transportés ailleurs dans un lieu où la tradition et le drame se mélangent et restent légers malgré tout, grâce à la finesse de l’écriture d’Emmanuel Jiménez.


À voir jusqu’au 9 mars au Prospéro!



Texte : Emmanuelle Jimenez
Adaptation, mise en scène, chorégraphie et direction musicale : Menka Nagrani

Interprétation et création : Gabrielle Marion-Rivard, Marilyn Perreault, Olivier Rousseau

Lumières : Anne-Sara Gendron

Scénographie : Erica Schmitz

Composition musicale
: Maëva Clermont

vendredi 22 février 2019

Le Terrier chez Duceppe - À voir!






 Texte original d'Esther Hardy
Crédits photos: Caroline Laberge 



André-Luc Tessier et Rose-Anne Déry de Tableau Noir sont invités chez Duceppe pour présenter la pièce Le Terrier de David Lindsay-Abaire, jusqu’au 23 mars, un grand drame traité avec simplicité et finesse avec les talents de Sandrine Bisson, Frédéric Blanchette, Rose-Anne Déry, Pierrette Robitaille et André-Luc Tessier dans une mise en scène de Jean-Simon Traversy, le nouveau codirecteur artistique chez Duceppe.





Pierrette Robitaille, Rose-Anne Déry, André-Luc Tessier, Frédéric Blanchette et Sandrine Bisson, 


La pièce débute après la perte de Danny dans un tragique accident, un jeune enfant de quatre ans, fils unique de Louis et Becca.  Le couple tente tant bien que mal de recoller les morceaux et de survivre à leur douleur chacun à leur façon. Tous deux cherchant le courage soit en forçant pour tourner la page ou en tentant de s’activer pour ne pas sombrer dans la dépression.



Pierrette Robitaille, Frédéric Blanchette,  Rose-Anne Déry et Sandrine Bisson



Malgré l’aspect extrêmement tragique, la simplicité du traitement provoque des situations cocasses et drôles, notamment dans la relation avec la mère de Becca interprétée par Pierrette Robitaille. Très dénudé d’émotions dramatiques, jamais ils ne tombent dans le pathos, le psychologique ou le mélodramatique qui serait trop compte tenu de l’aspect tragique de l’événement déjà lourd par lui-même.  La mise en scène a opté pour un traitement efficace, simple et terre-à-terre qui donne toute l’ampleur à la vérité et au désir de se reconstruire. On touche au deuil dans sa subtilité et ses aspects incontournables où l’impuissance et les fissures qu’elle provoque se résorberont qu’avec le temps.


David Lindsay-Aubaire

L’auteur Américain David Lindsay-Abaire  a reçu le prix Pulitzer en 2007 pour cette pièce Rabbit Hole (Le Terrier) et on comprend pourquoi…  Sur un ton mi-comédie mi-drame, elle parle de douleur et de maturité avec finesse, sans jamais tomber dans la complaisance, elle traite de résilience et d’humanité, de problèmes familiaux et de ces choses inacceptables qu’on ne voudrait jamais avoir vécu, mais qu’il faut tout de même accepter lorsqu’elles se présentent sur sa route.




Sandrine Bisson qu’on connaît pour son talent à : incarner des personnages forts, colorés et expansifs, donner de la voix et réagir au quart de tour (1981, 1987, La peur de l’eau, Berceau des anges, etc.) démontre ici une grande sensibilité et un raffinement dans le personnage de Becca, la mère blessée.  Sa riche palette de jeu lui permet des nuances intéressantes très appréciables dans cette mère tourmentée qui cherche à survivre.



 Sandrine Bisson et Pierrette Robitaille



Et avoir le bonheur de revoir Pierrette Robitaille sur scène dans une de ses rares apparitions est déjà très agréable. Naturellement, son expertise est ici bien utilisée dans ce personnage de grand-mère qui a elle aussi vécu un drame déchirant et doit composer avec une nouvelle blessure incisive, en plus de prodiguer ses encouragements à sa fille et à tout son monde. Ce monument est digne de sa réputation, elle nous fait rire à travers ce bouleversement et nous ramènent vers la simplicité terre-à-terre des gens qui vivent des drames en toute honnêteté.



Empreinte d’un grand dénuement, la scène laisse place à tout l’impact du jeu des personnages dans toute sa force. La mise en scène de Jean-Simon Traversy est pointue et amène chaque action au but sans se complaire dans les aspects dramatiques.




D’abord produite en 2016 à la salle Fred Barry du Théâtre Denise Pelletier, cette pièce est la première production de la Tableau noir, la compagnie créée entre copains finissants en théâtre : André-Luc Tessier et Rose-Anne Déry qui avaient l’habitude de jouer ensemble à l’école. Ils ont choisi de monter cette pièce américaine en s’acoquinant judicieusement de gens de métier et ça a été un franc succès!



Franchement, ça vaut la peine de cheminer avec les personnages et vivre ce deuil en toute simplicité avec eux… À voir!!!!



Texte David Lindsay-Abaire
Mise en scène Jean-Simon Traversy
Traduction Yves Morin

Interprétation :
Sandrine Bisson, Frédéric Blanchette, Rose-Anne Déry, Pierrette Robitaille, André-Luc Tessier

lundi 4 février 2019

L’Art comme prétexte à l’amitié – Rideau vert



Benoit Brière (Serge), Luc Guérin (Yvan) et Martin Drainville (Marc)



Texte original d'Esther Hardy
Crédits photos: François Laplante Delagrave


Pour sa première mise en scène, Marie-France Lambert s’est attaqué à la pièce humoristique Art de Yasmina Réza, un texte qu’elle espérait travailler depuis longtemps. Cette moquerie sur le grand Art est présentée au Rideau vert jusqu’au 2 mars prochain, avec les talents d’une belle équipe de comédiens aguerris : Benoît Brière, Martin Drainville et Luc Guérin. 




Benoit Brière (Serge) et Martin Drainville (Marc)




Un trio d’hommes très différents avec des intérêts et des carrières qui s’opposent: le pragmatique Marc (Martin Drainville), Serge l’illusionné convaincu (Benoit Brière) et Yvan le suiveux (Luc Guérin) entretiennent une amitié qui résiste à l’influence des entourages mutuels. Puis, ils craquent, créant mille occasions de conflits et par le fait même, de belles opportunités d’évoluer. Chaque personnage a ses failles et les comédiens les assument comme s’ils ne les voyaient pas, les rendant d’autant plus crédibles.



« Il ne fait jamais un geste. Il a toujours froid. Je lui dis : bougez!!! »




L’art est un prétexte pour cette pièce sur les dédales des non-dits en amitié. En fait, bâtir des liens sur des mécompréhensions et des impressions peut produire de grandes déroutes dans les situations épineuses. Art est une ode à la résilience amicale, à la complicité et à l’amour inconditionnel entre copains. Mais pour en arriver là, ça prend parfois bien des déboires!!



« Comment un homme peut-il vivre autrement que dans son temps? »


Benoit Brière (Serge), Luc Guérin (Yvan) et Martin Drainville (Marc)




En jouant fréquemment ensemble, ce trio de talentueux comédiens a développé une grande complicité! Ils sont irrésistibles! Devenus une troupe imbattable, ils ont développé une connivence exceptionnelle où la complicité de jeu, la confiance, la compréhension de l’autre et les réflexes sont développés avec une expertise rarissime. Avec cette maîtrise étonnante, les regarder jouer en jonglant avec les répliques est un enseignement en soi. Chaque parole est assumée avec une virtuosité surprenante.



« Je t’ai laissé dériver, on ne se comprend même plus quand on se parle. »
« Il ne faut jamais laisser ses amis sans surveillance. »
« Il faut les façonner. »


Martin Drainville (Marc)




Martin Drainville qui se fait plus rare à l’écran et sur les scènes montréalaises, impressionne par son excellent jeu et sa capacité à incarner son personnage avec conviction. Charmant, assumé et très à l'aise dans son corps, il nous a beaucoup étonnés.




Le texte est drôle, néanmoins il comporte de nombreux pièges. Sans la mise en scène de Marie-France Lambert qui a su manier avec aisance et détermination le talent de ces virtuoses, ce spectacle aurait pu être de moindre qualité. Ponctuant la représentation de nombreux silences judicieusement habités et étonnamment éloquents, elle a su diriger le travail chirurgical de ces comédiens. D’un naturel désarmant, leur jeu est si instinctif qu’il semble impossible que chaque parole prononcée soit écrite par un auteur! Impeccable!




Scénariste, romancière et autrice de théâtre, Yasmina Réza est une écrivaine française. Sa pièce Art créée initialement en 1994 a été accueillie avec beaucoup d’enthousiasme. Adaptée en trente-cinq langues, grâce à sa pièce Art, Yasmina s'est fait connaître internationalement. Elle a ensuite reçu des prix prestigieux : deux Tony Awards et deux Laurence Olivier Awards.


« Ce qui est beau dans le monde n’est jamais rationnel. »




Luc Guérin (Yvan) et Benoit Brière (Serge)




Un jeu habité d’humanité, de nuances et de complicité! Chaque expression du visage et les mouvements du corps sont si raffinés, ils dessinent de la dentelle de jeu. Captivée par leur performance, je les regarderais jouer des pages du dictionnaire sans me lasser.

C’est pourquoi je vous dis : allez-y, faites-vous plaisir!

Présentée au Rideau vert jusqu’au 2 mars.


     UNE PIÈCE DE Yasmina Reza
     MISE EN SCÈNE Marie-France Lambert
     ASSISTANCE À LA MISE EN SCÈNE Emanuelle Kirouac-Sanche

 CONCEPTEURS:

     Décors DAVID GAUCHER
    Costumes FRANÇOIS ST-AUBIN
–   Accessoires JULIE MEASROCH
–   Éclairages LUCIE BAZZO
–   Musique PAUL AUBRY
     Maquillages et coiffures SYLVIE ROLLAND PROVOST


samedi 2 février 2019

Aalaapi - poésie du Nunavik





Texte original d'Esther Hardy
Crédits photos: Anne-Marie Baribeau




Aalaapi veut dire « faire le silence pour entendre quelque chose de beau », cette charmante pièce documentaire est présentée à la salle Jean-Claude Germain du Centre du Théâtre d'aujourd'hui jusqu'au 16 février dans une habile mise en scène de Laurence Dauphinais. Pour de multiples raisons, je croyais connaître les Inuits, mais en assistant à cette fresque de la vie au Nunavik, j'ai constaté que finalement mon savoir se limitait aux généralités, que je ne connaissais pratiquement rien de leur quotidien, mais surtout de leur jovialité et de leur ouverture.


Je suis sortie apaisée de ce spectacle, m'ayant laissé toucher par la vague de sérénité de ce peuple à l’esprit zen, inspirée par leur simplicité et leur capacité à se moquer généreusement d’eux-mêmes avec un grand détachement!








Deux jeunes filles inuit, Nancy Saunders et Hannah Tooktoo se prêtent à l'exercice. Dans Aalaapi, on les voit vivre au quotidien avec leurs habitudes, leurs espoirs, leurs champs d'intérêt et leur joie de vivre. Elles montent sur scène pour la première fois afin de livrer ce message. Présentée par le collectif Aalaapi et Magnéto qui a aussi produit le documentaire radiophonique d’accompagnement de Marie-Laurence Rancourt, la pièce est soutenue par cette trame sonore qui relate le quotidien de la vie au-delà du 55e parallèle et la vision de quelques jeunes filles qui vivent dans le Sud, à Montréal, soulignant leur désir professionnel, leur vision de l'avenir et de leur tradition.





Ainsi, j'ai appris que certains grands-parents, les Inuits les plus âgés, sont très fiers de leurs traditions et avec ferveur tiennent à la léguer à leurs petits-enfants. Par contre, d'autres qui ont été forcés de s'en éloigner par l'insistance des missionnaires et autres autorités religieuses ressentent encore aujourd'hui de la honte quant à leur façon de vivre et ne tiennent pas à ce que leur tradition se perpétue.



Par conséquent, il y a des adolescents qui ont reçu cet héritage, qui connaissent la langue, les traditions de leurs ancêtres, ou sinon ils y sont sensibilisés et ils tentent de les apprendre assidûment. D'autres par contre, n’en connaissent strictement rien et vivent relativement de la même façon que nous.




Néanmoins, leur vie est faite d'aventure à la pêche et à la chasse, de fabrication d'artisanat, d'études, ou encore d'observation d’oiseaux. La radio devient un outil essentiel de communication pour s’assurer de connaître les dangers imminents de cette vie en plein cœur d’une nature sauvage, d’animaux prédateurs qui rodent dans le coin ou de la perte d'objet, d'avertissement météorologique, etc. Elle est un élément essentiel à leur quotidien qui est franchement sobre, simple et dépouillée du super flux.




Mélodie Duplessis, Marie-Laurence Rancourt, Nancy Saunders, Laurence Dauphinais et Hannah Tooktoo


Détachées, drôles, sympathiques et spontanées, nos deux comédiennes passent énormément de temps à rire, se taquiner, apprécier la simplicité de la vie et à se moquer d'elle-même. Elles ont l'air de tout, sauf malheureuses dans leur vie au Nunavik. Néanmoins, certains jeunes préfèrent la ville, ne serait que pour apprécier l’indépendance hors d’un village où tout le monde se permet d'avoir une opinion sur ce que les autres font. On effleure leur tradition et à la fin, malgré la dégustation du fruit de leur travail, un pain traditionnel appelé "bannique" qu’elles ont cuisiné et partagent avec le public, je me suis surprise à désirer en connaître encore plus...








Allier chants d'oiseaux, aboiement de chiens et bruits de voiturettes, au vent, à la projection d'images, de sous-titre français et anglais, de départ à la pêche, d'écoute de la radio, de fabrication de pain, etc. avec autant d’éléments disparates c’étaient un magnifique travail de synthèse que d’en faire la mise en scène. Et ça fonctionne harmonieusement avec l'esprit de sérénité du peuple inuit. Bravo Laurence Dauphinais.



À voir jusqu’au 16 février à Salle Jean-Claude Germain du Centre Théâtre d’aujourd'hui.