mercredi 7 juin 2017

FTA | Des arbres à abattre : le chef-d’œuvre d’une vie!




Publié par Esther Hardy le Mer. 7 juin 2017 à 16h00 - Contenu original


Crédit photos: Natalia Kabanow


Le FTA (Festival TransAmeriques) et le « Teatr Polski we Wrocławiu » ont présenté la pièce polonaise Des Arbres à abattre de l’auteur autrichien Thomas Bernhard, une œuvre visitée avec rigueur et portée sur scène dans un immense travail du chevronné metteur en scène polonais Kristian Luka. Avec treize comédiens sur scène, un décor très élaboré et une longue performance de quatre heures quarante, cette adaptation de la pièce Wycinka Holzfällen fignolée avec un soin exceptionnel par ce célèbre metteur en scène issu d’une longue tradition théâtrale d’Europe de l’Est, confirme son expertise par une œuvre toute en nuances présentée le week-end dernier sur la scène du Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts.





Dès l’entrée, le public est accueilli par la projection du reportage d’une entrevue. Une jeune femme parle de son art, de son métier, de ce que c’est qu’être comédienne, et elle fait la critique de son milieu. On comprend ensuite qu’elle s’est suicidée et que la pièce prend place le soir de ses funérailles.



Ses amis et compagnons de travail se réunissent pour partager un repas et déversent leur trop-plein de sentiments dans une rencontre interminable où la venue d’un invité de marque se fait désirer beaucoup trop longtemps. Les convives sont des amis, des comédiens, un journaliste, un auteur, quelques musiciens, peintres, poètes et artistes de tout acabit. Ensemble, ils discutent de leurs profondes insatisfactions et de leur vision des arts. De plus en plus conscients des écueils qui jonchent leurs voies, ils parlent de leurs erreurs respectives, critiquent leurs pairs et les institutions, puis se questionnent sur la vraisemblance; tout cela sur une toile de fond tapissée du désarroi de la perte de leur amie, ce qui donne lieu à des moments de grande humanité.








« L’art avilit-il irrémédiablement ceux qui s’y consacrent? », un questionnement auquel Kristian Luka tente de répondre. Sa mise en scène le démontre avec des visions distinctes pour chacun des protagonistes…


« Au terme de votre vie, avez-vous trouvé l’accomplissement dans l’art? »,


demande une des comédiennes à l’artiste de grande renommée qui « saoule tout le monde » et se pète les bretelles en parlant de la différence entre lui, artiste, et les autres. Prétentieux à souhait, il raconte comment son quotidien est si nuancé comparé à celui des autres. Il se pavane au point d’en être ridicule tellement sa prétention est déplacée, ce qui donne lieu à des scènes d’humour craquantes.







Moments cocasses, drôles, dramatiques, d'ironie, de défoulement collectif et de crises, tout y passe. Un texte déjà abordé, mais jamais dans une si longue performance…le chef-d'œuvre d’une vie pour ce grand metteur en scène qui en est à sa première visite au FTA.



La scène tournante du Théâtre Jean-Duceppe se prête parfaitement au décor à quatre faces, tourné au gré des différentes scènes par des machinistes. Le tout permet de laisser le spectateur voir cette belle ingéniosité dans les changements de décor, de même que les entrées et sorties de comédiens se faire discrètement à l’arrière.



« Écris pour moi! Quand tu écris, c’est comme si tu me baisais! »



En général, le spectateur regarde le spectacle avec les puissants éclairages sur les comédiens. Dans des moments choisis, ce mouvement est uniformisé dans les deux sens. Les interprètes se savent regardés par les spectateurs, qui eux aussi sont éclairés et se font donc observés par les acteurs durant leur performance. Un mouvement de retour peu exploité, car il implique que les comédiens peuvent voir le public, et possiblement être distraits de leur jeu en les voyant. Car normalement, l’éclairage donne le privilège d’aveugler les acteurs qui restent centrés sur leur travail.








On comprend que ce choix du metteur en scène implique de très longs mois de répétitions qui donnent une solidité à la performance et, en principe, un naturel dans le jeu qu’on peut rarement atteindre ici au Québec, compte tenu du peu de temps pour répéter qui nous est alloué. En Europe, la tradition théâtrale permet ces longues périodes de répétitions, c’est leur façon de faire du théâtre.



Lorsque les comédiens montent sur scène, en principe, ils connaissent tout de leur personnage et ont approfondi tous les aspects de la pièce. C’est ce qui est constaté encore une fois dans cette pièce. Le jeu des acteurs est exceptionnel, on se délecte de leur précision, de leur solidité et des nuances de leur performance.








Ici, comme toujours, on fait beaucoup avec peu. De là l’intérêt de visiter toutes les traditions théâtrales du monde, afin de nous enrichir de leur méthode de travail et ouvrir l’art, le libérer des préjugés méthodiques afin de créer plus librement.


« Si tu n’as rien de grand à offrir en toi, offre le pire! »

« Le monde absurde est le seul monde véritable. »

« Autant donner ce qu’il y a de pire, au moins c’est authentique! »



À la fin, on apprend que la troupe est interdite de jouer cette critique ouverte des institutions dans son propre pays – la Pologne, et le gouvernement a ouvertement réussi à interdire sa présentation dans les pays voisins. Les seules représentations qu’ils ont pu donner sont à Paris, à Québec au Carrefour théâtral la semaine dernière et ici, au FTA.


Pour eux et pour nous, merci à toute l’équipe du FTA !!!



CRÉDITS


Un spectacle de Teatr Polski we Wrocławiu
Texte Thomas Bernhard
Basé sur la traduction de Monika Muskała
Adaptation, mise en scène, scénographie et lumières Krystian Lupa
Interprétation Bożena Baranowska + Krzesisława Dubielówna + Jan Frycz + Anna Ilczuk + Michał Opaliński + Marcin Pempuś + Halina Rasiakówna + Piotr Skiba + Ewa Skibińska + Adam Szczyszczaj + Andrzej Szeremeta + Wojciech Ziemiański + Marta Zięba
Costumes Piotr Skiba
Arrangements musicaux Bogumił Misala
Présentation avec le soutien de Instytut Adama Mickiewicza (Varsovie)

Rédaction Paul Lefebvre
Traduction du polonais Joanna Gruda
Traduction vers l’anglais Neil Kroetsch

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