mercredi 16 mai 2018

Rideau vert : Trahison – Le flegme anglais à son meilleur



Julie Le Breton, François Létourneau et Steve Laplante


Crédits photos: David Ospina
Texte original d'Esther Hardy

La pièce Trahison, un triangle amoureux sous l'égide du flegme anglais, est présentée au Rideau Vert. Cette pièce de l'anglais Harold Pinter interprétée par Julie Le Breton, François Létourneau et Steve Laplante dans une mise en scène de Frédéric Blanchette, se poursuit jusqu’au 9 juin 2018.


Lorsque le rideau se lève, les murs sont nus, la scène est sans décor à part quelques meubles dans une maison qui laisse l’impression d’un logis sans âme… Au départ, ça semble une énigme, puis à mesure des avancées de l’action, on comprend qu’il symbolise le dépouillement dans la vie de chacun des trois protagonistes.



Julie Le Breton et François Létourneau


D’entrée de jeu, la première scène nous donne le dénouement de l’histoire : un divorce. Et la pièce nous raconte ce qui est survenu pour en arriver là… Au fond de la scène, des projections nous indiquent la datation, les étapes de l’histoire et les changements de lieu… On fait donc un grand retour dans le temps.



Emma (Julie Le Breton) croise son ancien amant Jerry (François Létourneau) dans une soirée professionnelle et non moins détendue, d’un vernissage dans sa galerie d’art. Elle en profite pour lui parler qu’elle est en plein divorce avec Robert (Steeve Laplante), son mari et qu’elle lui a tout avoué de leur ancienne relation. On comprend que les deux hommes sont meilleurs amis depuis leurs études, qu’ils se voient régulièrement pour faire du sport ou casser la croûte et que chacun d’eux a vécu de grandes blessures au fil des années, sans jamais en parler ou montrer ses sentiments à l’autre…



Steve Laplante et François Létourneau 


Au fur et à mesure du dénouement de l’histoire, on voit des murs apparaître, le décor se revêtir et s’enrichir de quelques meubles et accessoires. On comprend alors, à quel point la relation entre Emma et Jerry a créé un vide en eux et tout autant dans leur relation mutuelle avec Robert. Bravo à Pierre-Étienne Locas, créateur de la scénographie, pour ce support admirablement imagé complémentaire à l’histoire.



Que faire quand deux hommes qui ont une grande amitié et une admiration réciproque sont amoureux de la même femme? Qu’est-ce qui pèsera le plus lourd dans la balance : le maintien et l’importance de leur amitié, leur relation avec elle, un confort amoureux illusoire…? C’est le départ du triangle amoureux classique des grandes épopées. Et ce qui nous interpelle dans Trahison, est cette incapacité des protagonistes à discuter! Les non-dits sont omniprésents dans chacune des relations intimes que le poids des années rend encore plus gigantesques.



François Létourneau, Steve Laplante et Julie Le Breton 


Dans ce chassé-croisé, chacun assume ses émotions et ses souffrances que les décisions de l’autre provoquent, et ce, sans cris, sans colère, sans condamnation et sans chercher à le faire souffrir en retour! C’est très particulier… et très anglais!




Harold Pinter

Crédits photos: PA




L’auteur londonien, Harold Pinter a écrit la pièce Betrayal (Trahison) en 1978 pour le Royal National theatre de Londres. Prix Nobel de littérature en 2005, Pinter se serait inspiré de sa propre relation extraconjugale avec une animatrice télé, tandis qu’il était déjà marié, qu’il s’est divorcé et ensuite remarié avec une troisième femme… Comme on le sait, dans les années 60 les divorces étaient peu communs et faisaient bien souvent scandale sur la place publique, dès qu’ils touchaient des personnalités connues.



Le metteur en scène Frédéric Blanchette nous présente une pièce bien campée dans cette époque avec le dénouement de la dramatique et de ses énigmes en filigranes de relations conviviales entre les interprètes. Malgré qu’il ait bien réussi à nous faire ressortir les non-dits et les incapacités à communiquer, nous nous questionnons: aurait-il pu  nous faire sentir avec plus d'évidence les répercutions de ce grand enfermement issu du mal à l'aise et de la castration interne de la dramatique? La subtilité des émotions liée au flegme anglais et le style des textes de Pinter appellent cette fine nuance indispensable.


  
Steve Laplante et Julie Le Breton




Un peu plus tôt dans la saison et sur cette scène, nous avons vu Julie Le Breton dans son excellente interprétation de la célèbre infirmière en chef Mildred Ratched dans Vol au-dessus d’un nid de coucou, ainsi que dans plusieurs autres spectacles qui ont fait l’objet de chroniques : 8 de Mani c’est quoi, FTA — Nelly Arcand – La fureur de ce que je pense, Le cœur d'enfant est roi dans « Poésie, sandwichs et autre soir qui penchent...»Comme toujours, son interprétation de ce personnage clef est juste et confirme son importance dans le triangle amoureux.



François Létourneau




Steve Laplante



François Létourneau avec ses proverbiaux airs naïfs et sans malices, nous a touchés par un jeu juste où il arrive à nous démontrer une vie intérieure riche dans son personnage de Jerry. Et Steve Laplante, dans un Robert vraiment flegmatique où tout reste bien caché, les apparences de sobriété étant la priorité, on y croit vraiment…


Cette pièce très différente de ce que nous avons l’habitude de voir dans le théâtre contemporain comme triangle amoureux vaut le détour!



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